quinta-feira, 12 de janeiro de 2017

MÁRIO SOARES POR JEAN DANIEL





No nº 2723 de "L'OBS" (12 a 18 de Janeiro 2017), Jean Daniel evoca Mário Soares:

Notre ami Mário Soares 

Peu de lecteurs et même d’amis peuvent se douter des liens qui nous unissaient avec Mario Soares, le chef de l’Etat portugais qui vient de nous quitter. Un moment donné, nos locaux étaient rue des Pyramides, il arrivait que l’ambassade du Portugal adresse chez nous certaines personnalités intéressées par cette «trop chère Révolution des œillets». Déjà, le titre était à la fois un vers de Sully Prudhomme et de Verlaine. Evidemment, nous étions en 1974, dans la nostalgie et le regret, et nous avons cru voir revenir Mai-68. Entre-temps, on s’était habitué à voir régner Salazar au Portugal comme Franco en Espagne sans apercevoir les signes d’une impatience insurrectionnelle. Le Portugal avait alors avec la France une situation coloniale commune. La guerre d’Algérie n’était pas terminée lorsque les Portugais régnaient en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau. Les chroniqueurs du colonialisme français étaient très attentivement suivis par les militaires des colonisateurs portugais.

 Un sourire large et accueillant 

 Mais revenons au cher Mario, dont la disparition met notre journal véritablement en deuil. Tous les journalistes voyageurs ou aventuriers ont l’occasion de croiser des fortes personnalités, des hommes hors du commun, mais pas souvent des chefs d’Etat qui défient la postérité. 

Lorsque j’ai rencontré Mario Soares, il était en exil en France entre deux séjours en prison dans les colonies. 

 Je ne savais rien de lui. Et puis je l’ai revu lorsqu’il est revenu pour sa Révolution des œillets. Ce fut un coup de foudre, le seul peut-être que j’aie eu avec un homme d’Etat. Comme si nous avions été intimes auparavant, il savait tout sur moi. Je savais peu de choses sur lui. J’avais quelques années de plus que lui et il me traitait en aîné, ce qui m’intimidait. Et puis, au fur et à mesure des événements se sont succédé, il m’a impressionné. Il ressemblait à un personnage de Simenon, comme un "Français radical-socialiste" avant que l’on dise « social-démocrate ». Il avait un sourire large, accueillant, et capable soudain de se crisper, surtout quand il était question des communistes ou des extrémistes. Il avait comme rival une personnalité remarquable, Alvaro Cunhal, d’une grande allure, d’une grande beauté, autorité implacable. Claude Roy, le grand romancier, notre collaborateur, l’admirait, et Mario s’en impatientait. 

Socialistes et communistes 

 J’ai mille choses à raconter sur mon ami Mario. Une seule aujourd’hui, car elle n’est pas tellement reconnue. C’était à l’époque où les communistes et tous les groupes extrémistes de frondeurs, de casseurs, de révoltés donnaient à la révolution sa jeunesse, sa gaîté, son idéal. Ailleurs, en Europe, ils avaient des solidarités multiples, notamment en Allemagne, en Italie, mais aussi en Espagne. Les communistes portugais ont commencé à collaborer d’une manière organisée avec les Russes qui ne cessaient d’observer la faiblesse croissante des révolutionnaires et qui avaient infiltré plusieurs régions militaires. Après un voyage inattendu, Henri Kissinger fit un rapport : selon lui, le Portugal était déjà perdu pour l’Occident, car les Russes, eux, n’avaient pas perdu de temps. Les réactions américaines n’ont pas été immédiates. En revanche, le conflit recommençait entre Portugais.  

Au journal, nous étions très attentifs et préparés à nous inquiéter. Nous avions des amis partout, qui d’ailleurs n’étaient pas d’accord entre. Il reste que, une nuit d’émeute, un colonel que nous allions souvent visiter et qui a fini bien plus tard comme ambassadeur à l’Unesco, m’a dit que je pourrais rendre service à mon ami Mario Soares. C’était le colonel Melo Antunes (homonyme du romancier). Il me chargeait de faire comprendre qu’il ne fallait pas que mon "leader socialiste" prît des risques de passer la nuit soit à Lisbonne, soit même dans les environs. Un complot se préparait où les Russes n’étaient pas étrangers, et où se mêlaient à la fois les officiers extrémistes et les communistes. Je me suis acquitté de cette mission avec l’impression de participer à l’Histoire, sans me rendre compte qu’il s’agissait de son meilleur côté. 

Pendant ce temps-là, à Paris, il y avait autour de François Mitterrand des groupes de personnalités hostiles à Mario Soares parce qu’il était socialiste, et les autres farouches partisans pour la même raison. Cette querelle, bien dans la tradition socialiste, nous sépara Jean-Pierre Chevènement et moi. Il n’en est rien resté, sauf que les amis de Chevènement ont sincèrement cru qu’ils protégeaient la démocratie au Portugal. 

Un démocrate passionné 

Alors, voilà le mot, « démocratie », sur lequel je voulais insister et finir. Il est partout question des racines et de la philosophie de la démocratie. Les uns la disent déjà morte et les autres l’ont toujours cherchée. Personnellement, l’appellation de "démocrate" s’est toujours identifiée à Mario Soares. Parce qu’il était un passionné naturel de la liberté, parce que la fraternité était un don chez lui, et parce que l’égalité ne le conduisait pas à la violence. Nous aimions beaucoup Mario Soares, aujourd’hui nous l’aimons plus encore, car dans l’état où nous sommes c’est un miracle de rester un exemple. 

Jean Daniel
  
Nota: este texto transcrito do "site" não é exactamente igual ao publicado em papel na revista.

 

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