terça-feira, 19 de março de 2013

CARTA ABERTA AOS INGLESES




Transcreve-se a Carta Aberta que o antigo primeiro-ministro francês, Michel Rocard, endereçou aos "seus amigos ingleses" e que o Nouvel Observateur publicou no seu nº 2522, de 7-13/3/2013:

(Longa, mas prenhe de interesse)


"VOTRE PEUPLE SOUHAITE LA SÉPARATION? QUE NE LE SUIVEZ-VOUS?" 

 Lettre ouverte à mes amis anglais 

Tout en saluant les relations privilégiées que nous avons longtemps entretenues avec Londres, l'ancien Premier ministre estime que les Britanniques devraient être conséquents : accepter la construction d'une Europe unie ou... partir 

 MONSIEUR LE PREMIER MINISTRE, CHERS AMIS ET VOISINS BRITANNIQUES,

Vous venez de décider que dans moins de deux ans le Royaume-Uni choisira par référendum de rester membre de l'Union européenne ou de la quitter. C'est une décision considérable et, pour nous Français, d'une émouvante gravité.

J'appartiens à cette grosse dizaine de millions de Français qui sont nés avant la dernière guerre mondiale. Nous l'avons subie, et suivie, dans la peur et la honte. La seule lueur d'espoir qui subsistait portait les couleurs de votre drapeau. Votre immense courage a d'abord sauvé l'honneur en Europe, puis, appuyé par les Américains et les Russes, assuré la victoire et consolidé la démocratie.

Enfant, j'avais pendant quatre ans affiché des cartes d'Europe, d'Afrique du Nord et d'Asie occidentale sur les murs de ma chambre, où je piquais de petits drapeaux anglais, puis américains ou russes, marquant l'avancée des troupes.

Et naturellement, à l'heureuse fin de tout cela, la première fille que j'ai aimée fut anglaise.

Nous avons eu - nous avons - avec vous des relations comme nous Français n'en avons jamais eues avec personne d'autre. Ni avec Israël que pourtant nous fûmes seuls à aider pendant les quatre premières années décisives de sa vie d'Etat indépendant. Ni avec l'Algérie proche où le mélange des sangs versés et des populations n'a pas pu créer la fraternité, ni avec les Etats-Unis, que nous eûmes fierté à aider à se libérer de vous, et qui bien normalement sont en train de l'oublier, ni non plus avec l'Allemagne avec qui, réconciliés, nous vivons une manière de mariage de raison qu'expliqué seulement votre retrait.

Ce qu'il y a entre vous et nous est unique et irremplaçable, mais n'est pas arrivé à changer notre nature profonde, ni chez vous ni chez nous.

Vous n'êtes pourtant pas pour rien dans l'effort de résurrection qu'en tant qu'Européens nous nous acharnons à poursuivre. C'est l'immense Churchill qui en 1946 à Zurich, réfléchissant sur le drame récent, prononça ces phrases inouïes: « Vous les Européens, devriez tenter de construire quelque chose comme les Etats- Unis d'Europe. Y réussiriez-vous que vous auriez le soutien immédiat et enthousiaste de la communauté britannique des nations, et presque aussi sûrement celui des Etats-Unis d'Amérique. Il y a lieu dépenser que la grande Union soviétique puisse y être favorable, auquel cas tout serait résolu. » Churchill voyait l'Europe faite, et la Grande-Bretagne à l'extérieur...

On se mit à la tâche. Des prophètes à la haute stature, Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, Paul-Henri Spaak accomplirent une tâche de géants. Vous fûtes indifférents à la création de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier. C'était une affaire de continentaux... donc seconde. Vous avez souri sarcastiquement lorsque nous nous sommes empêtrés dans un projet de Communauté européenne de Défense, dont vous ne vouliez à aucun prix mais pensiez surtout qu'elle ne vous concernait pas. L'idée pourtant était forte. Produite par la France, très soutenue par cinq autres nations, elle fut tuée par la France.

Nous étions à ce moment six nations membres de la Ceca. Inquiets et navrés de voir l'effort ainsi interrompu, nous entreprîmes quelque chose d'infiniment plus ambitieux. Je n'ai pas le souvenir que vous ayez accordé la moindre attention à la Communauté européenne de l'Energie atomique, beau traité rédigé, signé et ratifié dans l'enthousiasme et l'unanimité, toujours à six, que, depuis, la France, de l'intérieur, a systématiquement vidé de son contenu pour conduire sa propre politique nucléaire. Nul n'est parfait dans cette affaire, nous pas plus que vous...

Mais vient en même temps l'idée de la Communauté économique européenne, un embryon de vraie fédération. Là, vous vous déchaînez. La quasi-totalité de vos responsables politiques, ministres et parlementaires, dénoncent, condamnent et éructent... Vous aviez déjà laissé se créer chez vous, au nom de la liberté, paraît-il, une presse vulgaire, coutumière de l'insulte et de l'outrance.

Ce fut un festival. Vous avez tout essayé pour briser l'idée dès la naissance, jusqu'à l'improbable Zone européenne de Libre Echange. Mais cela n'a pas marché, la CEE se crée. Ce fut au début un immense triomphe. L'ouverture du marché intérieur permit un accroissement fulgurant du développement. Gérer ensemble nous réconciliait. Et vous n'y étiez point.

Il nous faut pourtant vous comprendre. Depuis un millénaire, du continent, vous n'avez reçu que des ennuis : guerres, menaces d'invasion, épidémies, deux guerres mondiales nées hors de vous, qui vous obligent à intervenir pour mettre fin aux désordres du continent... et y perdre un million d'hommes.

Et surtout, c'est votre grandeur, avec l'habeas corpus vous fûtes les créateurs des droits de l'homme. Il fallut trois cents ans pour que vous commenciez à être imités sur le continent... Ce n'est pas très longtemps après que, pour contrôler et limiter la dépense royale vous sûtes confier ce rôle à une Assemblée populaire nommée Parlement: vous êtes les créateurs de la démocratie. Il fallut deux siècles, beaucoup de violences et de révolutions pour que le continent vous suive. Nous savons, nous assumons, pour vous nous sommes des barbares.

Au demeurant pendant bien des siècles votre politique extérieure eut pour objet de vous protéger de nous. Le continent devait rester divisé. Vous fûtes tout au long alliés de la deuxième puissance militaire du continent pour affaiblir le poids de la première et cela de manière rotative. Autriche, Russie, Pays-Bas, Prusse, Espagne, enfin la France pour le dernier siècle, furent alternativement et brièvement vos alliés.

Il n'y a pas de mystère à ce que vous ayez la hantise de voir un tel continent s'unir. Il ne pourrait en venir que du désordre et du drame.

Mais comprenez-nous aussi. Ce n'est de la faute de personne si, en Europe, une grosse douzaine de communautés linguistiques ont su pendant des millénaires résister les unes aux autres au point d'y interdire le développement logique du pouvoir comme sur les autres continents. Le pouvoir naît de la force nécessaire à la sécurité. La légitimité interne de sa police vient de ce que chaque peuple est fondé à se croire pour lui-même pacifique et fraternel. La violence, l'agression viennent toujours de l'autre, l'étranger, le barbare, celui qui n'a pas la même couleur de peau, prie autrement et parle différemment. Il faut repousser le plus loin possible les frontières du pays connu, solidaire et défendu, jusqu'aux limites du monde explorable avec les moyens de l'époque. Le Japon dans ses îles, la Chine, l'Inde ont connu cette histoire, comme aussi Cyrus de Perse, Alexandre de Macédoine, la Haute-Egypte, Rome et plus tard la Russie. Comme encore l'empire aztèque ou l'empire inca, et même, moins connus parce que leur culture n'était pas écrite, l'empire zoulou, celui du Bénin, celui du Ghana, celui du Mali, séparés par quelques siècles et durant chacun quelques siècles.

Rien de pareil en Europe : douze ou quinze pôles de résistance, d'abord linguistiques. Nous nous entredéchirons depuis un millénaire. Votre insularité et votre empire vous ont épargné ce destin.

Pourrez-vous nous comprendre ? Nos nations continentales sont lasses de cette faiblesse, de cet émiettement et de leur impuissance. Tous nos conflits ont eu pourtant leur fertilité: la civilisation contemporaine, cultivée, mécanique et démocratique, s'est créée chez nous, avec vous d'ailleurs. Nous avons commandé le monde, nous sommes en train de disparaître de son ordonnance. C'est une immense frustration. Cela fait un peu peur, en même temps.

Nous ne sentons guère chez nos voisins russes la même propension à vivre dans la démocratie et la paix que chez nous. Nous savons l'immense Chine, en train de prendre la dominance du monde, porteuse d'une très ancienne sagesse, mais capable aussi de vouloir se venger de la longue humiliation que nous avons contribué à lui infliger.

Et puis, il faut bien le dire aussi, parce que cela fait partie du problème, nous ne sommes qu'à demi rassurés par nos amis communs américains. Maîtres financiers du monde comme vous l'étiez il y a un siècle, ils furent beaucoup moins sérieux que vous : ils ont privilégié et installé la spéculation, créant par là cette crise dans laquelle nous nous débattons. Ce peuple jeune à l'histoire courte est, probablement pour cette raison, trop fier de son immense force et trop heureux de s'en servir, ce qu'il fait à tout propos... C'est notamment avec l'Islam aussi qu'il faudra faire la paix du monde, par exemple.

Bref, vous l'avez compris et c'est clair, depuis la Seconde Guerre mondiale qui signa leur déclin, les nations fatiguées et vaincues du vieux continent européen veulent se ressaisir et sont décidées à redevenir fortes. Vous ne fûtes ni envahis ni vaincus: vous ressentez moins ce besoin. C'est normal et légitime. Mais pour nous c'est une condition de survie, mieux encore la seule ouverture possible d'un avenir créateur à la taille mondiale. Plus clairement, nous avons l'impression nette que le modèle de société qui nous unit, démocratie, droits de l'homme et sécurité sociale, n'est guère représenté ailleurs, même si beaucoup nous l'envient. Notre continent sait qu'il lui faut devenir une force politique puissante pour le défendre, le consolider et l'exporter.

Et nous voilà en route. Il y faut une organisation des interdépendances, des traités, des institutions communes. Il y faut un commandement aussi. Au tout début, le commandement n'est pas le plus nécessaire. L'enthousiasme et la convergence des volontés suffisent. On peut accepter le commandement évanescent et le pilotage flou si les intentions s'accordent, et cela d'autant plus que le contexte est étonnamment porteur. Que cela commence par un succès étonnant vous posa un problème. Il était évidemment vital pour la Grande-Bretagne d'être présente sur ce qui commençait par être un marché commun, même si vous l'aviez rejeté, vilipendé et condamné.

Maïs l'attirance commerciale fut la plus forte. Vous demandez à entrer, en 1963. De Gaulle commença par dire non mais vous êtes tenaces. Vous entrez en 1972.

Très vite vous bénéficiez des avantages commerciaux que vous saviez devoir trouver, et découvrez en même temps la vigueur de l'espoir fédéraliste des nations fondatrices, la fragilité des mécanismes de décision, et la grande facilité qu'il y a à tout bloquer.

Il faut vous rendre hommage. Entre votre adhésion et aujourd'hui, soit quarante ans tout juste, vous fûtes le pays le plus discipliné dans la transposition interne des directives européennes. Vous fûtes aussi inlassables qu'efficaces dans l'européanisation des normes, des standards et des comportements de marché sans lesquels il n'y a pas de vraie pratique commerciale commune.

Et vous fûtes aussi efficaces dans le combat permanent contre tout pas en avant nouveau vers un peu plus d'intégration et de commandement supranational.

C'était superbe à observer: absolue continuité historique, absolue solidarité droite-gauche, absolue discipline de tous vos hommes -et femmes- commissaires, députés et fonctionnaires. Il n'y a que vous pour être capables de cela. C'en était admirable. Et vous avez gagné : tous les élargissements se font, pour diluer l'entité collective, aucun approfondissement jamais, des accords contraires aux traités s'il le faut - optingout, « I want my money back» - aucun leadership européen n'a jamais pu émerger, la fiscalité, le cœur du droit social, la politique étrangère demeurent extérieurs au progrès communautaire, la Commission inhibée se tait, et devient une annexe technique du Conseil.

L'Europe est sans voix comme sans volonté, comme vous l'aviez voulu. Mais l'histoire va vite, et les temps changent. Le capitalisme s'essouffle, la croissance ralentit, chômage et précarité se développent. Surtout la finance dérégulée commande à l'économie et aux nations, puis devient folle.

Après l'éclatement de la bulle des subprimes, suivie de sa dilution par la technique malhonnête de la titrisation mélangeant créances saines et douteuses - dont la City et donc vous-même êtes les inventeurs- vient l'énorme crise bancaire des années 2007 et 2008 : plus d'un millier de banques en faillite, dont quelques-unes chez vous. On redoute la réédition de 1929, un krach boursier transformé en récession profonde et-durable par la réaction malthusienne de toutes les puissances publiques. Mais en 2008 l'Europe se tait.

Une complicité intelligente et innovante de votre Premier ministre de l'époque, Gordon Brown, avec notre président Nicolas Sarkozy conduit le G20 à éviter ce risque en appelant les Etats, et donc les contribuables, à la rescousse.

Tout cela était mondial. On appela par convention « Europe » le ralliement des autres membres de l'Union à la position défendue par Messieurs Brown et Sarkozy, soutenue du bout des lèvres par Mme Merkel.

On avait négligé au passage un événement important survenu entre-temps. Dans vos victoires contre l'intégration européenne vous n'aviez pas pu éviter que la volonté fédéraliste des fondateurs n'arrache son dernier succès, la création d'une monnaie unique, l'euro.

Cette création ne doit rien à la nécessité économique, nulle sur ce point, et tout à la vision géopolitique, la nôtre, pas la vôtre. Un de vos délicieux journaux avait même qualifié l'euro de « monnaie papier hygiénique»...

Mais c'est bien sûr l'Europe à 27 donc avec vous, qui en avait accepté la création, sans que tout le monde s'y joigne. Il n'y avait par conséquent ni organe politique ni commandement de gestion, hors la Banque centrale.

Or depuis vingt ans, depuis le ralentissement de la croissance, tous les Etats s'étaient beaucoup endettés. L'appel aux contribuables pour traiter la crise bancaire privée a massivement aggravé la situation. Les Etats les plus faibles deviennent insolvables. Pour certains d'entre eux, à commencer par la Grèce, la dette est en euros. Les marchés ne font pas le détail, une menace venant de la petite Grèce est une menace pour l'euro.

La sortie de l'euro étant à la fois effrayante et impossible, les Etats de la zone euro, Allemagne comprise, finissent par comprendre que la résistance à cette menace exige un niveau de solidarité monétaire et budgétaire bien supérieur à celui qui est actuellement organisé. Or l'illusion n'est pas permise. Solidarité budgétaire veut dire solidarité politique, parce que le budget, c'est polyvalent. Le hasard du traitement ponctuel d'une difficulté monétaire de court terme nous oblige à recourir à des outils puissants et permanents, ceux mêmes qu'appelaient les principes et les objectifs retenus par les pères fondateurs. Surprenante occurrence...

Nous décidons donc de reprendre les négociations pour l'approfondissement de notre solidarité et de sa gestion. Pour la première période budgétaire cela vient d'être fait, douloureusement mais c'est fait. Pour l'ensemble des institutions cela commence à peine.

C'est le moment que vous choisissez pour vous interroger sur votre appartenance.

Chers amis anglais, il faut préserver le respect mutuel entre nous. Nous vous concédons beaucoup de droits dans l'Union, mais pas celui de nous empêcher de poursuivre les objectifs pour lesquels elle a été créée.

Dussiez-vous décider de rester parmi nous, je gage que vous n'auriez pas abandonné pour autant votre refus de l'Europe-entité politique de plein exercice. Or nous avons rouvert le chantier. De semaine en semaine vous verriez revenir dans les débats des projets de décisions intégrantes, sur tous sujets. Vous vous battrez, ce sera intenable.

Je devine sans peine qu'ici vous souriez en me lisant : vous pensez pouvoir compter dans ces batailles sur le soutien de près de la moitié d'entre nous.

Il est vrai, au demeurant, que celles des nations au sein de l'Union que la géographie et l'histoire ont empêché de grandir ont fini, après avoir passé bien des siècles à subir dominations et souffrances, par renoncer à tout espoir de maîtriser leur destin. Ce qu'elles cherchent, c'est une échappatoire ou une protection contre les tracas du monde, un refuge ou, comme certaines l'ont dit, une grande Suisse.

Prenez-y garde, amis anglais. Cette résignation n'en fait pas des complices de votre propre vision d'avenir pour vous et pour le monde, qui est d'une toute autre nature. Et ces mêmes nations, pour avoir baissé les bras, n'en savent pas moins que si seules devant une tornade monétaire mondiale, ou le réchauffement climatique, ou l'excès d'endettement dans une monnaie collective, elles ne peuvent en effet rien, l'Union, elle, en revanche, a les moyens potentiels de la riposte et de la vraie protection.

Et puis enfin, notre âpreté à renouer avec le projet initial se renforce de craintes très contemporaines. La première vise la sortie de la multicrise actuelle, chômage, explosion financière menaçante, dettes souveraines et réchauffement climatique pour s'y limiter.

Nous ne sommes pas naïfs au point de penser qu'en quelques années notre effort renouvelé pourrait enfin donner à l'Europe l'unité de vues et le leadership qu'elle n'a pas su trouver depuis l'origine. Mais déjà plus de solidarité et de discipline autour des accords ponctuels et épisodiques passés entre quelques-uns de nos chefs de gouvernement et qualifiés d'européens, pour cacher la misère institutionnelle, sont à nos yeux nécessaires à cette sortie de crise. Or déjà de cela vous ne voulez pas. On se disputera, on s'agressera.

La deuxième crainte est plus lourde. Elle est à l'horizon d'un quart de siècle à peine. Dans ce temps l'Asie, largement conduite par la Chine, produira la moitié du produit brut mondial, initiera la moitié du commerce international et aura le leadership à l'OMC, au FMI et dans sans doute d'autres institutions mondiales.

C'est alors qu'il faudra établir les conditions des échanges mondiaux entre pays à niveaux de salaires et de protection sociale profondément différents.

Ni la Chine ni l'Inde ne sauront ni ne voudront distinguer entre la petite trentaine de contrées rassemblées dans une Union floue à l'autorité incertaine. Il y faudra un géant parlant fort et d'une seule voix, sachant traiter chez lui les conflits d'intérêts secondaires, capable enfin de traiter et de se faire obéir. Vingt ans pourront à peine suffire à son émergence. Voilà pourquoi nous recommençons à vouloir faire l'Europe. Il faut être très clair. C'est le concept de souveraineté nationale qui est en cause. Ce concept puissant, historiquement décisif, a permis la cristallisation sur des territoires identifiés et définis de la sécurité, du droit et du peuple. Il a permis, par là, la civilisation. Ce fut inouï. Mais ledit concept est maintenant à bout de souffle. Et puisque tous les lourds problèmes que nous affrontons tous aujourd'hui sont maintenant continentaux sinon mondiaux, il est devenu contre-productif. C'est pour le dépasser que nous voulons l'Europe unie ou fédéraliste.

Pour dire la même chose en d'autres termes, ma peur principale en tant que Français pour l'avenir long de mes enfants et petits-enfants concerne l'absence de commandement en Europe, infiniment plus que ne m'inquiéterait, s'il est efficace, un commandement étranger, fût-il allemand.

Il paraît aujourd'hui évident que votre vision est totalement étrangère à celle-là.

Au reste, et pour être loyal comme c'est bien l'intention de toute cette lettre, je ne vous comprends pas. Je ne devine pas l'intelligence profonde du projet britannique d'isolement. Je le crois même suicidaire pour vous, signe évident que son sens historique m'échappe. Mais c'est votre choix et votre affaire.

Nous sommes aujourd'hui, le Royaume-Uni et l'esquisse d'Union, agrippés l'un à l'autre comme des boxeurs au corps à corps dans un combat furieux où chacun cherche à empêcher l'autre de se forger un avenir selon le chemin qu'il a choisi.

Dans une telle situation, on se méprise et s'énerve.

C'est ce climat, Monsieur le Premier ministre, qui vous a conduit, voici peu, choisissant un prétexte fiscal futile, à insulter gravement mon pays. La différence entre l'insulte entre nations et l'insulte privée, c'est que dans le second cas il existe des tribunaux de proximité pour évaluer le dommage, prescrire la compensation et rendre ainsi possible l'oubli. Dans le premier cas, seule l'histoire s'en charge. Mais elle, qui n'oublie rien, est vengeresse et méchante. Le Premier ministre David Cameron a annoncé le 24 janvier qu'il organiserait, s'il était réélu en 2015 un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l'Union européenne.

Or le climat qui persistera si vous décidez de rester parmi nous ne pourra que multiplier les causes d'aigreur et d'irritations, les occasions de recourir à ce langage. Mieux vaudrait éviter cela.

Votre peuple l'a d'ailleurs bien compris, lui qui répond aux deux tiers à chaque sondage qu'il souhaite cette séparation... Serions-nous déjà si indignes à ses yeux? Mais surtout, que ne le suivez-vous?

Au reste, pourquoi décideriez-vous finalement de rester? Ce sont vos banques et la City qui le demandent... Et il est vrai qu'elles font beaucoup de profit à gérer les conséquences financières de la paralysie institutionnelle que vous contribuez à pérenniser...

Monsieur le Premier ministre, chers amis britanniques, épargnez-nous et épargnez-vous cette décision pour ce motif. Ce ne serait digne ni de vous ni de nous.

Le mot me vient naturellement sous la plume : il nous faudrait savoir conclure cette affaire en gentlemen. Or la définition du gentleman est toute britannique. L'élégance en est la première exigence.

Votre départ serait élégant. Vous y retrouveriez du panache, et par là favoriseriez la renaissance d'une amitié qui ne demande qu'à se réveiller.

C'est avec ce souci d'élégance que je vous présente pour terminer tout ce qui me reste de sentiments amicaux à votre endroit. J'espère ne pas vous surprendre en vous disant que tout de même il en reste beaucoup !

MICHEL ROCARD 

2 comentários:

Anónimo disse...

Costuma-se dizer que quando o barco começa a afundar os ratos são os primeiros a abandonar o navio.

Virginia

zé dos anzóis disse...

Os ingleses apoderaram-se de todo o mundo de que puderam, pelo menos desde Isabel I. A sua cobiça é insaciável. Não são europeus (o famigerado Churchill assim pensava) mas são uns autênticos vampiros. Já perderam muito do que roubaram e dos povos que escravizaram mas ainda não estão saciados.

Que (não) descansem em paz.