sábado, 15 de outubro de 2011

BALIBAR E A "IGUALIBERDADE"

A propósito da publicação do seu livro Citoyen sujet et autres essais d'anthropologie philosophique, Balibar explica-se a Eric Aeschimann no Nouvel Observateur.

  Balibar, le philosophe de l'égaliberté


 Comme Alain Badiou, Etienne Balibar fut un proche d'Althusser. Mais, alors que la pensée radicale retrouve de l'audience, il récuse l'opposition entre démocratie et révolution, deux faces de notre «cause commune». Il s'en explique avec Eric Aeschimann

Etienne Balibar, né en 1942, a enseigné la philosophie morale et politique à Nanterre jusqu'en 2002. En 1965, il est l'un des auteurs de l'ouvrage collectif dirigé par Louis Althusser "Lire le Capital". Depuis, il a publié "Race, nation, Classe" (1998, avec Immanuel Wallerstein), "la Crainte des masses" (1997) et "l'Europe, l'Amérique, la Guerre". (2003) Photo: Jean-Luc Bertini - Pasco  

Etienne Balibar, né en 1942, a enseigné la philosophie morale et politique à Nanterre jusqu'en 2002. En 1965, il est l'un des auteurs de l'ouvrage collectif dirigé par Louis Althusser "Lire le Capital". Depuis, il a publié "Race, nation, Classe" (1998, avec Immanuel Wallerstein), "la Crainte des masses" (1997) et "l'Europe, l'Amérique, la Guerre". (2003).


Le 9 mars 1981, un philosophe prend la plume dans «le Nouvel Observateur». Nous sommes à deux
mois de la victoire de François Mitterrand et le communisme français va bientôt commencer sa descente aux enfers. Etienne Balibar est membre du PCF, disciple d'Althusser, coauteur de «Lire le Capital», son nom est connu.

Quelques semaines plutôt, le Parti communiste s'est engagé dans une consternante campagne contre l'immigration. Minutieusement Balibar énumère les erreurs des directions successives: atermoiements pendant la guerre d'Algérie, aveuglement en 68, poussée nationaliste, tentation d'exploiter les peurs, «peyrefttisme du pauvre». Sans oublier le «culte stupéfiant de la personnalité de «Georges» (Marchais). C'est une lettre de rupture, un adieu méthodique. Le lundi suivant, «l'Humanité» annonce en une son exclusion.

Y a-t-il une vie après le communisme pour un penseur marxiste? Après son coup d'éclat, Balibar a continué d'intervenir dans le débat public. Pour les sans-papiers et pour l'Europe. Contre Sarkozy et pour Royal, en 2007. Contre la politique israélienne en Palestine. Il a réfléchi sur l'«égaliberté», les droits de l'homme, l'Amérique, la violence. On continuait à l'écouter, mais distraitement: en ce temps-là, la haine du marxisme bouchait les oreilles et c'est sa fille, la comédienne Jeanne Balibar, qui était désormais célèbre.
Tout a changé lorsque Negri, Badiou, Zizek, Rancière, Agamben et autres penseurs «néocommunistes» ont rouvert la possibilité de discuter des notions aussi nécessaires que «le sujet», «le commun», «l'universel», «l'émancipation»... Avec un même mot d'ordre: changer la société, refaire de la philosophie.

En général, on met Balibar dans le lot. Il ne contredit pas. Pour la plupart, il les connaît depuis longtemps, ils se parlent, s'écrivent. Mais les deux fois où Alain Badiou l'a invité à ses colloques sur l'«idée communiste», à Londres en 2009 puis à Berlin l'année suivante, il a décliné. Cela lui a valu un mail un peu sec: «Décidément, tu n'es jamais là où les choses se passent vraiment.» Et il est vrai que Balibar est difficile à situer. Chaleureux, volubile, il explore les contradictions mais rechigne à conclure et n'a pas l'art des formules frappantes. D'où le risque de malentendu.

Mais il suffit de le lire pour sentir une question insistante, entêtante, obsessionnelle, qui a trait à la pratique politique et à tout ce qui s'y joue. «S'il existe une éthique politique, explique-t-il, c'est celle qui consiste à se révolter avec la conscience absolue et tragique que l'insurrection comporte toujours le risque de l'esclavage. Et en se rappelant que ne rien faire, c'est l'assurance de la servitude, de l'abjection, de la décadence et de la violence institutionnelle - avec ça, on a notre société.»

Etienne Balibar reçoit dans son bureau perché sous les toits d'un immeuble haussmannien, à Paris, non loin de la Cité universitaire. La pièce est tapissée de rayonnages avec doubles rangées de livres. Cet homme-là lit tout et, dans ses textes, n'hésite pas à citer des penseurs aussi éloignés de lui que Régis Debray Jean-Claude Milner ou Marcel Gauchet. Il ne souhaite surtout pas être mis en rivalité avec Badiou et les autres.

Pourtant, c'est bien à ses vieux compagnons qu'il répond lorsqu'il insiste sur la dimension tragique de l'insurrection. Pour eux, note-t-il, «dès que l'insurrection se transforme en institution, c'est la trahison absolue ». Et d'énumérer: Rancière, pour qui la «politique» finit toujours en «police»; Badiou, dont «l'événement» se dégrade en «simulacre»; ou encore Negri, chez qui le pouvoir politique «constitué» écrase la masse «constituante». Or, pour lui, cette opposition est une erreur, car «dans toute institution, il y a la possibilité d'une insurrection».

Simple désaccord politique sur le thème classique «réformisme ou révolution»? Non. Car l'affaire est au coeur du projet philosophique de Balibar et vient de prendre la forme de trois ouvrages publiés en quelques mois, dont chacun aborde un champ philosophique. «La Proposition de l'égaliberté» reprend ses grandes thèses de philosophie politique. «Violence et Civilité» est une réflexion sur l'éthique. Tous deux sont sortis l'année dernière, respectivement aux PUF et chez Galilée. «Citoyen sujet», qui paraît ces jours-ci, se présente comme un essai d'«anthropologie philosophique», c'est-à-dire une compréhension globale de l'homme tel qu'il vit. Des trois, c'est l'ouvrage le plus novateur, celui qui marque l'inflexion la plus nette.
L'enjeu, c'est tout simplement le dépassement de ce qu'on appelait dans les années 1960 l'anti-humanisme. On disait que l'homme n'existe pas, que le sujet absolu, autosuffisant, promesse d'une humanité idéale, était une invention qui passerait, que tout n'est que «procès historiques» (Althusser) ou «systèmes de savoirs» (Foucault).

Bref: qu'il n'y a pas de nature humaine, pas d'essence humaine, et vouloir bâtir une«anthropologie», c'était retomber forcément dans l'humanisme. Soit, au choix: le moralisme de Kant, le savoir absolu de Hegel, la volonté de Sartre... «Je reconnais qu'il faut une certaine inconscience pour dire qu'on va faire le mouvement contre lequel Foucault mettait en garde et se proposer de traiter l'homme comme une essence.»

Balibar ne retourne pas sa veste. Ne méconnaît pas que nos perceptions, nos façons de classer le monde sont des constructions historiques en constante évolution. Mais ce qui ne change pas, c'est le besoin que nous avons de ces constructions. Il y a là un invariant, qui certes varie toujours, mais ne disparaît jamais. Pour le nommer, il a recours à un terme trouvé chez Foucault et Derrida: le quasi-transcendantal. «Le projet auquel je travaille, c'est une enquête sur le quasi-transcendantal.»

Ainsi se livre-t-il dans le final de «Citoyen sujet» à un exercice vertigineux où il montre comment les différences de race, de genre ou de «normalité» psychologique, loin de justifier les habituels discours sur l'altérité, constituent au contraire le fondement même de l'universel. Non pas un universel figé et dominateur, mais, pour reprendre une expression qu'il emploie dans un autre chapitre, une «chose commune», une «cause commune», produite à chaque instant, par tous et par chacun, dans une perpétuelle reconfiguration.
Et c'est là que se justifie le long détour par l'abstraction philosophique. Car quel meilleur exemple de cet universel enchevêtré de différences que l'institution politique? Du moins si l'on perçoit l'Etat non comme un Léviathan immobile et vertical, mais comme une organisation jamais achevée, que les hommes se donnent à eux-mêmes et qui ne trouve la stabilité que dans son bouleversement permanent.

On comprend alors pourquoi Balibar récuse les dilemmes artificieux: réformisme ou révolution, particularisme ou universalisme, droits formels ou droits réels, liberté ou égalité... Pour lui, aucun de ces termes ne va sans son contraire, tous s'agglomèrent en une «cause commune». Voilà pourquoi aussi Balibar ne récuse nullement les droits de l'homme, bien au contraire. Simplement, il s'attache à montrer qu'ils ne sont jamais octroyés «de haut»: ce sont des droits que les membres d'une société s'accordent mutuellement, dans un processus infini.

Dès lors, le premier de ces droits, c'est celui de faire de la politique, le droit d'être citoyen, d'être «libres et égaux». «Déclaration des droits de l'homme et du citoyen», disait le texte de 1789. Le projet de Balibar est depuis longtemps «une société des égaux» et s'il trouve intéressant le nouveau livre de Pierre Rosanvallon, il sourit à voir l'ancien responsable de la Fondation Saint-Simon se rallier au drapeau de l'égalité: «Bienvenue au club !»

Tout comme il a souri récemment lorsque, invité au siège du PCF, place du Colonel-Fabien, après avoir erré dans un dédale de couloirs vides, il est tombé sur le secrétaire de section qui avait fait voter son exclusion. «On a rigolé.» Il a été touché d'apprendre que son interlocuteur avait soutenu les militants d'Action directe placés en quartier de haute sécurité: «Pour le Parti, les gauchistes, c'était le diable.»
Trente ans plus tard, l'apparatchik et l'exclu étaient d'accord pour dénoncer « la vengeance de l'Etat sur des pauvres gars qu'on veut faire mourir en prison ». Preuve que les droits de l'homme n'ont rien de «formel». Preuve que faire de la politique, c'est agir aussi bien dans le cadre existant (droits de l'homme, élections) qu'en dehors (résistance, désobéissance civile : par exemple, héberger des sans-papiers). Car c'est ainsi que le cadre pourra bouger.

Etienne Balibar sait qu'on lui reproche parfois d'être «juste-milieu». Il n'en a cure. S'il a pu avancer dans sa réflexion, c'est moins en s'extrayant non du marxisme ou de la pensée d'Althusser que d'un certain «provincialisme français». En 1983, il découvre les Etats-Unis : «J'étais recensé comme communiste, il m'a fallu cinq semaines pour avoir mon visa.» Depuis 1999, il a repris la chaire de Lyotard à l'université d'Irvine, où il enseigne un trimestre par an. «Je me suis américanisé, comme Derrida. Si j'étais resté en France à ne discuter qu'avec des Français, j'aurais étouffé.»

Au reste, il n'est pas le seul à s'être frotté aux Etats-Unis et c'est à New York qu'aura lieu le prochain colloque sur l'«idée communiste». Ce sera à la mi-octobre et, cette fois, il y sera. «Marx voyait la révolution comme une rencontre historique entre ceux d'en haut et ceux d'en bas : la philosophie et le prolétariat.» Le programme demeure valable, dit Balibar, à condition que ce soit une véritable alliance entre les deux parties, et non une vérité qui tomberait du ciel des Idées.

Quelques mois avant l'article dans «le Nouvel Observateur», Louis Althusser, pris de folie, étranglait sa femme. Balibar n'a pas ouvert les «Lettres à Hélène» publiées au printemps. «Je n'ai pas envie de lire des lettres personnelles entre deux individus que j'ai connus de près.» Mais la pensée de son maître n'a pas cessé de le travailler.

Au moment de raccompagner le visiteur, il revient sur le fameux passage où Althusser décrit la nature de l'Etat sous les traits d'un policier interpellant un passant dans la rue d'un simple : «Hep, vous, là-bas !» «En nous interpellant, l'Etat nous assujettit: il nous fait sujet. Mais l'interpellation produit le conformisme, elle fait naître l'hérésie et la rébellion. L'hérétique peut payer très cher son hérésie, au prix de la folie. Ou pis, du risque de se tromper. Mais sans cette folie, sans ce risque, il n'y a pas de politique.»

Eric Aeschimann

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